https://sharedwanderlust.wordpress.com/2012/08/28/sale-temps-pour-les-pauvres/
http://creatoulouse.squat.net/
Six heures vingt du matin. Texto : l’expulsion du CREA est en
cours. Je suis réveillée.
[Parenthèse avant que je me laisse
emporter par le feu de l'action : c'est quoi, le CREA ?
Depuis
un an et quelques mois, à Toulouse, c'est le Collectif pour la
Réquisition, l'Entraide et l'Autogestion, installé dans les locaux
abandonnés et réquisitionnés de l'AFPA pour y construire un centre
social autogéré (le CSA, qu'on appelle simplement le CREA par
commodité). Dans ce centre habitent neuf familles, soit une quarantaine
de personne dont quinze enfants. La majorité de ces familles est en
situation extrêmement précaire (immigrants, sans-papiers, etc).
Le CREA, depuis un an, c'est donc un lieu d'habitation. Il vient du
constat fait par plusieurs personnes que les structures de l'Etat qui
sont censées aider les précaires, personnes à la rue, etc, ne sont pas
efficaces. Il y a peu de place en hébergement, 95% des appels au 115
sont rejetés par manque de place en centres d'hébergement ou de moyens
pour payer les nuitées d'hôtel.
Le CREA a donc été créé comme
un lieu de vie stable pour que ces familles puissent trouver un endroit
où vivre tranquillement sans être transbahutés d'un service social à
l'autre à la recherche d'une solution. Et ça marche : pendant un an, le
lieu a fonctionné en autogestion (assemblées générales régulières des
habitants du lieu, décisions communes, etc) et sans argent. Tout se
fait à partir de récup', de solidarité, de dons. Les enfants sont tous
scolarisés, le CREA devient un véritable lieu de vie ; on y trouve
diverses activités pour les enfants et pour les adultes (activités
artistiques, cours de langues, sport, échange de compétences...) et une
stabilité dans la vie en commun qui fonctionne au cours du temps,
permettant au CREA de créer du lien social, des solidarités, de
l'entraide.
Le CREA n'a jamais demandé un centime de
subventions.
Le bâtiment, au 70 allées des Demoiselles,
appartient au Ministère du Logement.et des Solidarités Sociales (ha,
ha). Le ministère décide d'engager une procédure d'expulsion contre le
collectif, lance un procès. La raison de cette volonté d'expulsion ? Il
veut construire un centre d'aide aux personnes précaires dans ces
locaux (ha, ha).
Au cours de l'année, diverses personnes
(policiers et autres) s'introduisent dans le CREA pour en examiner la
“sécurité”, pinailler parce que le toit est vert de mousse et que cela
mettrait en danger la vie des habitants, en faisant un logement
insalubre, tester le taux d'amiante, vérifier que les portes
anti-incendie s'ouvrent bien, casser les autres portes de façon
parfaitement illégale, et généralement embêter les habitants.
À
la suite du rendu de la décision du juge, le CREA est expulsable
depuis mi-août. Depuis avant la tenue du procès, les habitants du CREA
tentent de contacter la mairie, la secrétaire d'État au Logement, la
ministre, la préfecture, etc, tout cela sans réponse. Ce matin, la
préfecture publie un communiqué de presse dans lequel on peut lire ceci :
“les occupants ont toujours refusé les propositions de contact
formulées par les services de l’État”. ]
Il est six
heures trente et je suis sur la route du CREA. Je me retrouve devant un
cordon de police qui m’empêche de passer. Je fais le tour pour
retrouver les autres personnes qui sont sur le pont des Demoiselles.
La situation ? À six heures du matin, les flics défoncent les
fenêtres du premier étage et font irruption dans l’immeuble. Les
familles arrivent à se mettre en sécurité ailleurs, restent quatre
personnes qui décident de monter sur le toit pour attendre.
Nous observons tout ça d’en bas. Quatre types sur le toit glissant (il
pleut), dont un assis à califourchon sur une poutre en métal qui
dépasse. Les pompiers se ramènent… pour prêter leur nacelle aux flics
qui veulent cueillir les mecs sur le toit. Ils montent la nacelle pour
voir et redescendent.
Pendant ce temps, les ouvriers arrivent.
Leur travail est de murer le bâtiment le plus rapidement possible pour
que plus personne ne puisse y rentrer.
Nous sommes toujours
devant un cordon de flics, à crier des encouragements à nos oiseaux
perchés.
La compagnie qualifiée pour intervenir est normalement
le GIPN, mais aujourd’hui, innovation : ce sont des CRS alpins. Ils
essaient de mettre un crochet dans la gouttière à partir du 5ème étage
pour monter surle toit, mais ils n’arrivent pas à monter à l’échelle de
corde. Pendant ce temps, les types du toit enlèvent leurs cordes de
sécurité, je suppose que c’est pour obliger les flics à être un minimum
prudents dans leur gestes. Les flics font des gestes brutaux alors que
les mecs du toit risquent leur vie au moindre mouvement.
La
nacelle remonte. Un flic arrive sur le toit par la lucarne, c’est le
négociateur. Y a-t-il négociation ? Non. Les trois mecs du toit ne
veulent pas se laisser embarquer, ils ne sont toujours pas attachés.
Celui de la poutre reste sur sa poutre.
Que font les flics pour
embarquer les types qui ne veulent pas se laisser embarquer ? Je vous
le donne en mille : ils sortent un täser.
Ils täsent une
personne sur le toit glissant, à une vingtaine de mètres de hauteur,
sans sécurité. Où le täsent-ils ? Au visage. Combien defois ? Cinq.
(Dans la loi, l’utilisation du taser doit se faire « à l’encontre des «
personnes violentes et dangereuses», doit «rester strictement
nécessaire et proportionné », et seulement dans le cas de légitime
défense (article L. 122-5 du code pénal), l’état de nécessité (article
122-7 du code pénal), ou en cas de crime/délit pour arrêter les auteurs
du délit.) Où est la personne violente et dangereuse dans un mec assis
sur un toit ? Où est la proportion dans le fait de répéter cinq fois la
décharge de täser ?
Les flics chopent ensuite ce gars et le
font descendre pendu par les pieds, tête la première, dans la lucarne,
pour l’embarquer. Les deux autres mecs du toit ont aussi résisté, on
les emmène de façon musclée (coups, étranglement) et on les fait
descendre également tête en bas pour les emmener au poste.
Pour protester contre cette violence inutile, les personnes qui étaient
là en soutien derrière le cordon de police décident de bloquer le pont.
Après environ une minute de blocage de pont (nous empêchons les
voitures de passer), les CRS, qui devaient s’ennuyer, depuis tout ce
temps, chargent sans sommation. Matraque au vent, flashball sortis.
Nous sommes trente, ils sont le double au moins. Nous résistons et
tentons d’encaisser la charge. Gros choc. Une dizaine de personnes se
font matraquer à tout va, ça tape dans les bras et dans les cuisses.
Nous courons pour nous enfuir. Je me retourne pour voir une copine
entourée de quatre flics qui la frappent avec leurs matraques sur les
bras et les jambes. Finalement nous nous enfuyons tous en courant pour
souffler un peu, prendre du recul et soigner les bobos. Beaucoup de
bleus, quelques bosses, pas d’arrestations.
Je
publie cet article parce qu’aucun média n’a parlé de la violence
policière ni de la disproportion de toute cette affaire. Cinq ou six
médias différents étaient présents pendant tous ces évènements.La
majorité de ces médias se sont contentés de citer le communiqué de
presse de la préfecture et le point de vue de la police.
Je
publie cet article pour livrer ma version des faits. Je tiens ce blog
seule, je n’obéis pas à la pression d’un rédac-chef ou à la
hiérarchisation des sujets selon le revenu publicitaire qu’ils doivent
apporter.
Au-delà de la révolte que cette violence
suscite en chacun de ceux qui la subissent, il importe de s’interroger.
Nous étions tout au plus quarante. Ils étaient deux cents
Une opération de ce genre coûte plusieurs dizaines de milliers d’euros à
l’État.
L’État ferme chaque année des places en hébergement de
SDF par “manque de moyens”.
Les trois mecs du toit sont restés
une douzaine d’heures au poste. Chefs d’accusation : outrage et
rébellion. Ils ont : refusé d’obtempérer aux ordres des CRS, et se sont
accrochés à la cheminée pour ne pas descendre. Ils n’ont pas eu de
geste agressif envers les flics.
Les CRS qui sont intervenus
sur le toit ont demandé cinq jours d’interruption temporaire de travail
à l’hôpital. Quand les CRS demandent des ITT, on leur donne une prime
(ça fait partie des risques du métier de se blesser en frappant des
gens, hein.). Il n’y a de toute évidence pas de blessure qui
justifierait cette ITT.
L’État expulse le CREA parce que le
CREA sort de la logique qui veut que nous ayons besoin de chefs et
d’argent pour vivre. Le CREA montre de façon éclatante que
l’organisation et la solidarité sont possibles entre nous et créent des
espaces de vie que l’on n’aurait jamais imaginés autrement.
Pour qu’il y ait un tel empressement à l’expulsion et des mensonges
aussi gros à propos du supposé “projet” pour le bâtiment, c’estbien que
le CREA dérange. Que les pauvres qui s’organisent entre eux dérangent.
Il faut donc les dégager à coup de matraque.
Merci,
gouvernement socialiste.